Saint Quentin Fallavier, France. 26 juin. Un homme, Yassin Salhi, en décapite un autre, Hervé Cornara, son patron. Il se prend en photo, en train de brandir la tête qu’il vient de couper, envoie la photo à un de ses amis djihadistes, en Syrie, puis accroche la tête à un grillage, à côté du drapeau de l’Etat Islamique. Il tente ensuite de provoquer une explosion dans une entreprise de fabrication de gaz industriels. Il échoue. S’il avait réussi, il aurait pu provoquer un désastre régional d’une ampleur comparable à la catastrophe de Seveso, en Italie, en 1976.
Le même jour, un autre homme, Seifeddine Rezgui, se rend sur une plage à Sousse, Tunisie. Il déterre une mitraillette qu’il avait enterré dans le sable. Il tue trente huit touristes, principalement des Britanniques, et en blesse quarante autres. Il est abattu par la police. Avant de commettre son crime, il avait envoyé une photo de lui, posant la mitraillette à la main, à côté du drapeau noir de l’Etat Islamique. Il avait envoyé la photo à un ami djihadiste en Syrie, comme Yassin Salhi.
Au même moment, un attentat suicide était commis dans une mosquée chiite à Koweit City : l’attentat avait fait quatorze victimes.
L’Etat Islamique a publié un communiqué revendiquant les trois attentats, et disant que le 26 juin était le premier anniversaire du califat proclamé par Abou Bakr al-Baghdadi.
En un an, l’Etat Islamique a gagné beaucoup de terrain. Il contrôle la moitié de l’Irak, plus de la moitié de la Syrie, et occupe un territoire de la taille de la Grande-Bretagne. Il s’est emparé de villes importantes, Ramadi et Palmyre. Il a détruit plusieurs monuments préservés depuis l’antiquité. Il a tué des milliers de personnes, souvent de manière atroce. Il a rétabli l’esclavage. Il s’est implanté bien au delà de son territoire initial et a suscité des décisions d’allégeance d’autres groupes islamiques : Boko Haram au Nigeria, les soldats du califat en Algérie, Ansar Beït Al-Maqdis en Egypte. Il est présent dans quatorze pays. Il diffuse sur internet des vidéos sanglantes, et suscite des vocations : il inclut des milliers de recrues venues de tous les pays sunnites, et de nombreux pays occidentaux, essentiellement des Français, des Britanniques, des Belges, mais aussi des Américains. Il a lancé des appels demandant à tous les Musulmans de tuer les mécréants (Chrétiens et Juifs) et les infidèles impurs (les chiites) de toutes les façons possibles, dans tous les lieux possibles. L’un de ses dirigeants, Abu Muhammad al-Adnani, a renouvelé cet appel le premier jour du Ramadan, le 17 juin. Yassin Sahli, Seffeddine Rezgui, l’auteur de l’attentat suicide à Koweit City, ont suivi la directive.
L’Etat Islamique a tué dans une attaque à la bombe Hisham Barakat, procureur général d’Egypte au Caire trois jours après les attentats commis en France, en Tunisie et au Koweit, et a lancé une offensive contre l’armée égyptienne dans le Sinaï, à El Arich : les services de renseignement israéliens considèrent que cette attaque a été organisée en coopération avec le Hamas, à Gaza.
L’Etat Islamique est implanté dans les principales villes égyptiennes, dans la bande de Gaza et en Judée Samarie, et dans les territoires occupés par l’Autorité Palestinienne. Les services de police français estiment qu’il dispose de cellules en France et partout en Europe. Il tient la ville de Derna en Libye et la côte de la Cyrénaïque, d’où partent les bateaux d’immigrants clandestins envoyés vers la Sicile l’Italie du Sud.
Il a commencé à émettre des pièces de monnaie sur lesquelles figure une carte du monde et les mots « L’Etat Islamique— Un Califat basé sur la doctrine du Prophête». Il a clairement des ambitions planétaires.
Il n’a pas les moyens de ses ambitions. Il dispose néanmoins de moyens sans précédents pour une structure djihadiste. Il est la première structure djihadiste à s’organiser sous la forme d’un Etat, et la première à produire du pétrole. Il fonctionne tout à la fois comme un Etat et comme un réseau informel mondial, sur le modèle d’al Qaida.
Il est la principale incarnation de la menace djihadiste mondiale aujourd’hui. La principale incarnation de la guerre djihadiste déclenchée contre le monde occidental et ses alliés.
Plutôt que prendre la mesure du danger, les dirigeants occidentaux d’aujourd’hui choisissent l’aveuglement volontaire et l’apaisement.
Ils parlent de l’Etat Islamique comme si c’était une secte et comme s’il incarnait une « idéologie perverse », et ne comprennent pas sa force d’attraction auprès de tant de jeunes Musulmans : ils ne voient pas que l’Etat Islamique incarne le retour à l’islam des origines, lit et pratique la parole de Dieu incluse dans le Coran comme elle demande à être lue et pratiquée.
Ils ne comprennent pas la force d’attraction de l’idée de califat et semblent ignorer la nostalgie du califat, très présente dans le monde sunnite, depuis l’abolition du dernier califat par Mustafa Kemal Ataturk en 1924. Dans un sondage de 2006, réalisé en Egypte, au Pakistan, au Maroc et en Indonésie, les deux tiers des personnes interrogées soutenaient l’idée d’ « unifier tous les pays musulmans dans un nouveau califat ».
Aucun de ces textes n’affirme que l’Etat Islamique ne respecte pas les principes islamiques
De nombreux commentateurs musulmans dans le monde occidental disent eux aussi que l’Etat Islamique n’est pas musulman. Le drapeau de l’Etat Islamique porte la shahada, la proclamation de foi musulmane. Le Coran utilisé et cité sans cesse par l’Etat Islamique est le Coran utilisé et cité par tous les Musulmans du monde. Des organisations musulmanes tels que le Council on American-Islamic Relations (CAIR) et le Fiqh Council of North America ont publié des textes « réfutant » les positions de l’Etat Islamique : aucun de ces textes n’affirme que l’Etat Islamique ne respecte pas les principes islamiques.
Après la tuerie en Tunisie, David Cameron a dit que le combat contre l’Etat Islamique était le « combat de notre génération ». Il a répété que l’idéologie de l’Etat Islamique n’est pas l’islam. Il n’a pas même parlé d’ « islam radical ». ll n’a pas dit comment il comptait mener le combat.
Après la décapitation à Saint Quentin Fallavier, Manuel Valls, en France a parlé avec un peu plus de clarté, et dit que l’ennemi était le « djihadisme ». Il a ajouté que le monde devait mener une « guerre globale contre le terrorisme ». Il n’a pas dit comment la guerre devait être menée. La France n’a ni les moyens, ni la volonté de mener la guerre. Le Président Hollande a aussitôt modéré les ardeurs de son Premier Ministre et s’est contenté de rappeler la « détermination » de la France. Les propos de Manuel Valls rappelaient d’autres propos, tenus il y a quatorze ans.
Le 20 septembre 2001, neuf jours après les attentats du onze septembre, George W. Bush avait parlé d’une guerre globale contre le terrorisme. Il avait désigné des cibles et mis en place une stratégie. L’essentiel des dirigeants occidentaux, à l’époque, l’avaient vivement critiqué. Des erreurs ont été commises, mais à l’automne 2008, le terrorisme islamique et le djihadisme avaient largement reculé et semblaient tout au bord de la défaite.
L’administration Obama, en mars 2009 a décidé de ne plus parler de « guerre globale contre le terrorisme, et a proposé de parler de « Overseas Contingency Operation ».
Le 23 mai 2013, le porte-parole de la Maison Blanche a déclaré que la « guerre contre le terrorisme » était achevée.
En janvier 2014, le Président Obama, dans un entretien donné au New Yorker, comparait l’Etat Islamique à une «équipe d’amateurs».
Dix-huit mois plus tard, le 8 juin 2015, il a déclaré n’avoir pas de stratégie pour combattre l’Etat Islamique. Il semble que l’administration actuelle n’a toujours pas de stratégie.
L’Etat Islamique, lui, a une stratégie. La guerre djihadiste contre le monde occidental et ses alliés monte en puissance.
Les pays occidentaux n’osent même pas identifier l’ennemi
La guerre de l’Occident contre le terrorisme djihadiste a à peine commencé.
Pour l’heure, les pays occidentaux sont, au mieux, en position défensive. Ils n’osent même pas identifier l’ennemi.
En quittant sa prison en 2009, Abou Bakr al Baghdadi a dit à ses ex-geoliers : « Rendez-vous à New York ». Il n’est pas à New York. Pas encore.
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