Fin de partie pour l’arabisation de l’enseignement des matières scientifiques au Maroc, une expérience de 30 ans tout de même.
Après cette longue marche forcée, les autorités marocaines ont décidé de tourner le dos à l’arabe pour renouer avec le français, notamment pour les mathématiques, les sciences naturelles et les sciences physiques. Une position dictée par le pragmatisme au regard de l’impasse dans laquelle a mené l’arabisation de l’enseignement.Les sciences seront enseignées en français dès la première année de l’éducation de base, alors qu’actuellement c’est à la troisième année. Ainsi en a décidé le roi Mohammed VI le 10 février 2016. D’après le journal Le Monde, l’islamiste Abdelilah Benkirane, le Premier ministre, a tenté de bloquer le projet en appelant les parlementaires à différer son examen. Benkirane est ulcéré par le fait d’avoir été snobé par le ministre de l’Education nationale, un fidèle du roi, qui aurait fignolé en catimini cette réforme d’envergure. Mais sur ce coup les islamistes n’ont rien pu faire, cette réforme, adoubée par Mohamed VI en personne, est passée au-dessus de leurs têtes, alors qu’ils sont majoritaires dans le gouvernement.
Une affaire hautement symbolique
La pilule est amère pour les islamistes car pour eux l’arabisation de l’enseignement est une affaire d’héritage culturel, religieux, politique et historique. Donc il n’était pas question d’y toucher et de réhabiliter le français associé, à tort ou à raison, à une autre culture, une autre religion. Pour les islamistes, « arabisation et islamisation vont de pair car la langue est liée à la pensée », déclare Ahmed Assid, professeur de philosophie et fervent partisan de la laïcité. Son jugement est sévère : « Ce retour aurait dû se faire depuis longtemps. Nous avons perdu trente ans à cause de petits calculs idéologiques. Avant d’arabiser, l’Etat marocain aurait dû d’abord réformer la langue arabe dont le lexique et les structures n’ont pas varié depuis la période préislamique ».
Pour rappel, le Maroc a basculé dans l’arabisation de l’enseignement (primaire et secondaire) dans les années 70-80, un virage imposé par le parti de l’Istiqlal, qui a arraché l’indépendance et auquel on ne pouvait rien refuser. Le roi Hassan II (1961-1999) s’est plié à leur volonté.
L’Algérie de Houari Boumediene avait pris le même chemin et ce, dès les classes primaires. Le français y était enseigné en tant que première langue étrangère, ce qui de toute façon le reléguait au second plan, même dans la tête des citoyens. Mais il y a une dizaine d’années, l’Algérie change de braquet et décide de reproposer le français dès la deuxième année primaire, toujours en tant que langue étrangère.
Sur l’expérience marocaine, Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne, spécialiste du Maghreb et des sociétés arabo-berbères, dit ceci sur Atlantico.fr : Après « l’indépendance du Maroc, l’enseignement bilingue est devenu la norme, avec une très bonne tenue jusque dans les années 80. Mais dès les années 1970, l’arabisation de l’enseignement s’est déroulée étape par étape, touchant d’abord les matières littéraires et mettant fin, par exemple, à la philosophie. Cette arabisation a été menée à son terme en 1989, notamment dans les sciences, et le français est devenu une langue étrangère à l’école. Mais cela a fortement influé sur le niveau général des élèves qui, d’après les enseignants et responsables marocains, a beaucoup baissé par rapport à celui des élèves des années 70. Or, des matières comme les sciences, les mathématiques, le droit international, l’économie, la médecine, n’ont jamais été arabisées à l’université. Il en est alors résulté une crise de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, le pouvoir marocain veut restaurer l’enseignement bilingue et inculquer les sciences en français dès la primaire pour ne plus connaître de décalage avec l’enseignement prodigué à l’université ».