Goldnadel : «Ce qui nous menace n’est pas l’excès de patriotisme, mais le vide existentiel»

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Gilles-William Goldnadel revient sur la faillite du 11 janvier, l’essor de l’Etat islamique et le conflit israélo-palestinien.

LE FIGARO. – Que retenez-vous de l’année écoulée ?

Gilles-William Goldnadel – Les montées en puissance de l’État islamique sunnite par ses agressions sanguinaires et de la République islamique chiite par l’obtention d’un accord avec les grandes puissances lui accordant une manne financière et le droit de conserver l’essentiel de ses acquis nucléaires, enfin, les attentats mortels commis contre Charlie hebdo et l’Hyper-casher.

Quels enseignements peut-on tirer ?

Les islamistes représentent la force aujourd’hui la plus agressive et la plus déterminée à dominer une bonne partie de la planète. Ses partisans sont prêts à faire le sacrifice de leur vie pour y parvenir : courage ou folie peu importe, cet état de fait leur confère une supériorité indéniable.

En revanche, les Occidentaux placent leur vie et leur confort individuel au sommet de valeurs hésitantes et relatives. Ajouter à cela une bonne dose de candeur, une dilection quasi-pathologique pour l’altérité et une sollicitude fascinée pour la radicalité, et vous comprendrez que le rapport de force en théorie infiniment en leur faveur est inversé. Le fait que l’Amérique d’Obama se soit en ce sens européanisée représente un facteur supplémentaire d’affaiblissement.

Que vous inspire la polémique autour de Tel-Aviv sur Seine ?

L’esprit Charlie auquel je n’ai jamais cru était bien une foutaise

Elle n’est que l’énième avatar estival d’un phénomène désormais permanent : la délégitimation systématique de l’État juif. Il est essentiel et manifestement jubilatoire pour les contempteurs obsessionnels de cet Etat de se saisir de toute occasion pour le traiter singulièrement et le remettre ainsi symboliquement en question. Aucun autre État, fût-il le plus totalitaire, n’est traité de cette manière. Nous ne sommes pas dans la réalité, nous sommes dans le cadre d’un rite sacrificiel fantasmatique. Pour ne prendre qu’un seul exemple, la Chine communiste a été mise récemment à l’honneur en France, peu importe qu’elle foule aux pieds les libertés ou qu’elle opprime le peuple tibétain, les cérémonies n’ont fait l’objet d’aucune contestation. L’État juif est le juif des nations, et plus encore celui des groupes d’extrême gauche ou islamistes. Un jeune Français d’origine algérienne déclarait récemment sur Twitter que «l’image de l’État d’Israël c’est l’apartheid, les colonies, et le massacre des Palestiniens». Personne ne dit que l’image de l’Algérie c’est : «la corruption, la faillite totale du système économique et démocratique et la négation des droits du peuple kabyle» et pourtant, je soutiens que cette image colle bien davantage à la réalité, raison pourquoi elle est taboue et que nul ne s’aviserait à mettre en question un éventuel «Alger sur Seine».

J’observe enfin que le souvenir des émeutes et attentats islamistes antijuifs récents et la crainte justifiée d’autres à venir sont sans effet modérateur. L’esprit Charlie auquel je n’ai jamais cru était bien une foutaise.

L’antisionisme est-il forcément synonyme d’antisémitisme?

La question de savoir si l’antisionisme est rigoureusement synonyme d’antisémitisme me paraît dénuée d’intérêt pratique.

En toute hypothèse, et par une sorte de perversion intellectuelle, elle sert de prétexte aux antisionistes pour reprocher aux défenseurs du droit d’Israël à l’existence et à la sécurité l’instrumentalisation de l’antisémitisme. La négation de ce droit national me paraît, à ce stade de l’existence tragique du peuple juif, toute aussi immorale que l’antisémitisme classique. Au demeurant, je ne place pas celui-ci au sommet de l’abjection humaine : la stupidité, l’ignorance, la disproportion insensée, le mensonge, la jalousie me paraissent infiniment plus répréhensibles. Il est vrai que ce sont les ingrédients habituels de l’antisémitisme intemporel…

J’observe enfin que, comme dans le schéma classique du «bon juif», on a introduit le concept d’Israéliens acceptables à opposer aux autres à détester.

Ici, c’est le bobo pacifiste et cosmopolite tel-avivien, gay-friendly, de gauche, qui a voté majoritairement contre Netanyahou aux dernières élections.

Manifestement, ce distinguo subtil n’est pas appliqué à l’égard du peuple arabe de Palestine qui s’est prononcé en faveur du Hamas extrémiste lors des dernières élections libres et alors même que le processus de paix fonctionnait encore. Manifestement encore, ce concept du nouveau bon juif, est impuissant à calmer les ardeurs des anti-Israéliens les plus fanatiques… Comme dans le schéma classique.

350 000 colons israéliens occupent plus de 40 % de la Cisjordanie. Et la perspective de deux Etats s’éloigne. Si en France, certains pro- Palestiniens instrumentalisent dangereusement le ressentiment d’une partie de la jeunesse des banlieues, les pro-Israéliens ne font-ils pas également preuve de cynisme en ignorant le problème de la colonisation ?

Je ne nie absolument pas que la présence d’implantations juives au milieu de populations arabes homogènes et majoritaires fasse grand problème. Je reconnais au demeurant la légitimité du nationalisme arabe palestinien, contrairement à certains pro-Israéliens extrémistes et bornés. Je le nie d’autant moins que je défends en France le droit existentiel de la population française originelle de contrôler les flux migratoires. Il est cependant éclairant que ce soit des groupes politiques d’extrême gauche, les moins enclins à reconnaître ce droit, qui contestent toute présence juive dans des territoires disputés. Et pourtant, la présence d’un juif en Judée, fût-elle problématique, ne devrait pas les révulser davantage que la présence d’un musulman sans-papier en France…

Sur le fond, et au rebours du prêt-à-penser obligatoire dans la France d’aujourd’hui, je soutiens que le principal problème qui se pose encore et toujours pour le règlement de la question israélo-palestinienne est le refus persistant des Arabes de Palestine de reconnaître la légitimité politique de la présence juive sur une portion seulement d’une terre qu’ils considèrent toujours comme entièrement arabe et musulmane.

Aucun représentant de la Palestine, fût-il le plus «modéré», ne s’est jamais décidé à accepter un compromis historique définitif sur cette base, tel que proposé à plusieurs reprises par la partie adverse. Aucun non plus n’est réellement sorti, dans la meilleure des hypothèses, de son ambivalence envers un terrorisme devenu culturel. Si tel était le cas, je suis convaincu qu’il se trouverait une grande majorité de juifs israéliens pour accepter un partage territorial, fût-il fort douloureux pour certains. Mais dans le cadre d’une paix définitive et certaine, non d’un marchepied pour un nouveau conflit sur une base stratégique plus dangereuse pour un État très fragile.

On ferait bien de comprendre cela en France, plutôt que de jeter de l’huile sur le feu des passions et d’encourager l’irrédentisme arabo-musulman.

Vous êtes à la fois fervent patriote français et un défenseur infatigable de la cause israélienne. Comment conjuguez-vous cette double appartenance ?

Lorsque je défends la France, je défends Israël. Et réciproquement

Je ne vois aucune contradiction dans cette proposition.

C’est bien parce que je suis un défenseur de toutes les identités que je me sens à la fois profondément l’un et l’autre. Aujourd’hui, ce qui menace l’homme européen, ce n’est pas l’excès de patriotisme, mais le vide sidéral, au sein duquel les islamistes font leur nid. J’aurais passé une grande partie de ma vie d’homme a tenté d’expliquer qu’en raison du traumatisme psychologique post-shoatique, le fantasme européen est passé du tout aryen au rien du tout. J’ajoute que mon combat principal contre l’islamo-gauchisme que je considère aujourd’hui comme le premier totalitarisme revient à défendre une conception de l’État-nation occidental démocratique et de culture judéo-chrétienne que celui-ci abhorre pathologiquement jusqu’à verser dans le racisme anti blanc.

Autrement dit, lorsque je défends la France, je défends Israël. Et réciproquement.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Gilles-William Goldnadel. Publié avec l’aimable autorisation du Figaro Vox