« Les propos de Jamel Debbouze, c’est du poison ». Malek Boutih

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EURO 2016. Malek Boutih, député PS de l’Essonne et ancien président de SOS Racisme, revient sur la sortie de l’humoriste qui a relancé le débat communautaire autour de l’absence de Benzema et de Ben Arfa.

Propos recueillis par Charles De Saint Sauveur | | MAJ :

 
Malek Boutih, député PS de l'Essonne et ancien président de SOS Racisme.
Malek Boutih, député PS de l’Essonne et ancien président de SOS Racisme.(LP/Philippe de Poulpiquet.)

Après la charge d’Eric Cantona contre Didier Deschamps, coupable à ses yeux d’avoir écarté Karim Benzema et Hatem Ben Arfa en raison de leurs « origines nord-africaines », c’est Jamel Debbouze qui a critiqué lundi (dans une interview à « France Football ») leur absence chez les Bleus. Pour le comédien originaire de Trappes (Yvelines), qui regrette de « n’avoir aucun de « nos » représentants en équipe de France », ils « payent la situation sociale » du pays.

Des propos qui scandalisent le député socialiste de l’Essonne — et ancien président de SOS Racisme — Malek Boutih.

Que vous inspire la sortie de Jamel Debbouze ?

MALEK BOUTIH. C’est d’une très grande maladresse. Balancer publiquement ce genre de propos ne rend service à personne. Ni à Ben Arfa, qui a signifié qu’il ne voulait pas être assimilé à ce débat, ni à l’équipe de France qui a besoin d’être soutenue au lieu d’être ainsi poignardée, ni au pays. Cette sortie irresponsable risque de ruiner le travail des éducateurs, des associations, des parents, de tous ceux qui essaient de renforcer la cohésion nationale. La paranoïa, les théories du complot, tout cela existe déjà. Ajouter de la tension par ces insinuations, c’est du poison. Et il ne rend pas service aux mômes des quartiers.

Comment cela ?

Parce que les gens vont encore se dire : vraiment, là-bas, ils sont toujours dans la parano, la revendication. Jamel Debbouze nourrit ces préjugés, et c’est d’autant plus regrettable qu’il a un très grand impact en banlieue, bien plus qu’Eric Cantona.

Mais ses propos reflètent-ils ce qu’on pense dans les quartiers ?

Pas par tout le monde, mais cela existe, bien sûr. J’adore Jamel Debbouze comme acteur et humoriste, mais à chaque fois qu’il s’exprime sur les phénomènes sociaux ou politiques, il n’a pas de maîtrise. Là, c’est clairement un dérapage. Il devrait s’excuser auprès de Didier Deschamps et de toute l’équipe. Franchement, c’est à se demander si, comme d’autres, il ne se sent pas coupable de sa réussite en jetant au petit peuple des cités ce qu’il a envie d’entendre. Il a oublié que la réussite entraîne une responsabilité, un devoir d’exemplarité. La France a besoin d’être aidée par des gens comme lui. Lui n’a fait que contribuer à sabrer l’identité républicaine au profit des identités ethniques qui cherchent à s’imposer.

Cela peut-il créer une sorte de désamour, voire d’hostilité de certains supporteurs, envers l’équipe de France ?

Non, si elle gagne, elle sera soutenue. C’est la seule règle. Dans les semaines qui vont venir, Jamel Debbouze croisera, je l’espère, des gosses des cités de toutes origines avec du bleu-blanc-rouge sur le visage. La seule couleur qui compte, c’est le bleu. Si elle perd en revanche, elle sera critiquée, et beaucoup referont le match…

L’équipe de France doit-elle être le reflet du visage des quartiers ?

Non. Ça ferait de la France une société racialiste. L’équipe ne doit pas être composée en fonction de l’humeur du pays ou des pressions ethniques, sinon ce serait un suicide républicain. Gardons pour seuls critères de sélection l’efficacité et le respect l’esprit collectif : jouer pour les Bleus, c’est un peu plus que taper dans un ballon. Et c’est pour cela que Benzema a payé sa non-sélection. S’il y a un domaine en France où l’on n’est pas jugé à son faciès mais à ses performances, c’est bien le sport. La discrimination y est quasiment absente.

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